Art poétique

[JE N’AI PAS EU LE SOUCI DE PROUVER CONSTAMMENT QUE J’ÉTAIS POÈTE]

VIII
Je n’ai pas eu le souci de prouver constamment que j’étais poète. J’ai étudié mon métier avec patience et modestie. Je me suis abstenu des prouesses et des subterfuges. Je n’ai pas forcé les images. Je n’ai jamais essayé de faire croire que j’étais mage ou prophète.

IX
Je n’ai pas simulé l’enthousiasme, la démence et la possession par les esprits supérieurs et inférieurs. J’ai reconnu sans amertume, quand je les éprouvais, que mes transports étaient tout humains et que des règles humaines devaient les gouverner.

[…]

XIII
Je ne parle qu’en mon nom, mais comme si chacun, dans mes vers, s’exprimait autant qu’à moi. Je m’adresse à un interlocuteur invisible, mais de façon que chacun peut avoir l’illusion que mes vers s’adressent à lui seul, du moins à lui d’abord. Ils sont confidences, mais impersonnelles, sans origine ni destinataire, messages d’une ombre cachée à des ombres anonymes.

[…]

XVIII
Je n’ai pas prétendu exprimer l’inexprimable. J’ai seulement tenté de communiquer par mes vers ce qui ne se laisse pas si bien transmettre ni si efficacement dans un autre langage.
XXIII
J’ai choisi cette voie librement. Je ne me plaindrai pas d’avoir échoué : une autre réussite ne m’eût pas satisfait.


Roger Caillois, Art poétique ou confession négative [in Les Impostures de la poésie, éditions Gallimard, Collection Métamorphoses, 1947 ; rééd. 1962], Pré#carré 97/Hervé Bougel, octobre 2017, 20e anniversaire, s.f.

Merci à Terres de Femmes.

12 commentaires:

  1. Voilà un homme sincère qui ose un regard sur son travail poétique. De l'humilité... un concept qui tend à disparaître...
    Bon, il n'a pas été tendre envers la poésie surréaliste. Un dur à cuire le bonhomme.

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    1. Oui, d'autant qu'il a d'abord côtoyé Breton et sa bande, mais (je vais très vite) malentendu, puis rupture, il pensait (naïvement de son propre aveu) que le surréalisme allait s'affranchir de toutes les règles et particulièrement mettre fin à la littérature.

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    1. C'est très poétique finalement, de mon point de vue.

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  3. Comme gballand; ce personnel-impersonnel qui s'adresse exclusivement au lecteur...oui!

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    1. D'où l'on parle, à qui...
      Ceci me fait penser à Jean-Pierre Siméon en conférence indiquant que la poésie est l'utopie, c'est-à-dire en aucun lieu.

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  4. Il y aurait beaucoup à dire sur cette profession de non-foi, ce sacerdoce sans croyance. L'ambition poétique ainsi décrite est séduisante par sa modestie. Tellement séduisante qu'en
    première lecture, je l'adopterai tel que, dans la totalité des extraits ici-reproduits, pour décrire l'attitude qui m'anime, par exemple et surtout quand je fais des photos. Mais non !
    Lisant et relisant ce texte, étudiant les mots de plus près, finalement je doute: c’est un auto-satisfecit très complaisant.
    A ma (lourde!) charge, je précise que je ne connais pas les poèmes de Caillois et bien consciente de cette lacune, j'ai longtemps hésité à poster ce commentaire. Lequel ne se réfère donc qu'au texte reproduit ci-dessus et non à son oeuvre poétique.

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    1. Mais je vous en prie chère Espiguette !
      On peut le voir comme ça.
      Et pas forcément besoin de connaître ses textes.

      J’avoue (confession positive !) que j’ai surtout bien aimé ce qui semble surgir du point XIII.
      Bien sûr, entre ce que l’on dit et comment on le dit, cela peut apparaître comme un discours en creux, auquel on pense inévitablement puisque c’est la « contrainte » : c’est tout le côté « confession négative » ! Ce qui m’a aussi renvoyé à ce cher Bartleby, qui dirait « J’ai préféré ne pas… »

      Ensuite, même négative, une telle « confession » c’est tout de même une affirmation de soi, de ce qu’on a essayé. Pour autant, dire ce qu’on n’a pas « fait » ne permet peut-être pas de savoir ce qui a été accompli ou réussi. Et je n’ai pas spécialement senti d’autosatisfecit complaisant.

      Ici Caillois semble finir de régler ses comptes avec les surréalistes (IX et XVIII particulièrement).
      Il veut rester rigoureux, presque terrestre, il essaie de dire d’où il a écrit, ce qu’il a voulu faire.
      Et on n’est pas obligé de le prendre… aux mots !


      > Pour tous, un article qui permet je pense de bien situer la pensée de Caillois, qu'on pourra juger à la fois singulière dans son approche et, peut-être, un brin désuète aujourd'hui :
      http://www.fabula.org/colloques/document1632.php

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  5. Merci de ces précisions et de votre grande mansuétude pour mes avis à l'emporte-pièce ! Et merci aussi pour le lien qui éclairera encore un peu plus ma lanterne :-)

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    1. Non, je persiste, rien d'emporte-pièce, la réaction est entendable !

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  6. Je connaissais (très peu) Caillois comme essayiste, éditeur et haut-fonctionnaire.
    Sa profession de (non) foi est "frappante". J'aime bien l'interlocuteur invisible... et peut-être même... imaginaire !

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    1. En effet, c'est ce qui m'a fait retenir cet extrait !

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